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Photo du rédacteurCaroline Batt

Le trac et moi

Ici, je vais te parler de mon expérience personnelle, ce qui implique évidemment une grande subjectivité. Chaque parcours est différent, chacun fait avec son histoire, sa propre façon de gérer ses émotions, son caractère, sa force...


La première fois que j’ai ressenti ce qu’on appelle le « trac » sur scène, je devais avoir quatorze ans. C’était lorsque je me présentai pour la première fois à un concours d’entrée de conservatoire. J’arrivais de ma petite école de musique de campagne et j’avais choisi de me destiner à une carrière musicale. Il me semblait que c’était la voie royale, que dis-je la SEULE voie qui me permettrait de devenir ce que je voulais être.



crédit photo, Fotomelia

C’était un matin de printemps, me voilà arrivée devant ce grand bâtiment imposant. Un appariteur me fait rentrer par le sas dans la salle d’examen et là je tombe dans une grande salle vide, sans fenêtres avec seulement un piano à queue, le premier de ma vie, et une grande tablée de professeurs au regard qui me semblait inquisiteur. Je m’asseyais sur la banquette et posais mes mains sur le clavier, lorsque tout à coup, incompréhension totale, mes mains ont commencé à trembler. Impossible de jouer convenablement cette fichue toccata de Poulenc que je travaillais depuis six semaines. Le jury interrompt en plein milieu ce massacre d’un simple « merci mademoiselle, au-revoir » froid et sans appel. Inutile de te dire que l’issue de ce concours s’est soldée par un échec cuisant, le premier d’une longue série… Si les images de cette journée sont aujourd’hui un peu floues, les sensations se sont ancrées en moi et ce, pour un long moment. À partir de ce jour, j’ai redouté toutes les prestations en public : concerts, auditions en petits ou grands comités, examens, concours, masterclasses, même parfois certains cours.


Seulement voilà, ça devenait problématique ! Sans avoir l’audace d’imaginer une carrière de concertiste, je savais que je voulais faire de la musique, question de vie ou de mort et qu’il fallait résoudre ce problème par tous les moyens. De là commença une longue errance. Une professeure privée m’avait assénée « le trac ça n’existe pas », comme si le déni allait régler les choses ; SPOILER, ça ne marche pas !


Bref, après deux essais infructueux je finis tout de même par être admise au conservatoire. Entre copains on se donnait des tuyaux et j’ai tout essayé : homéopathie, phytothérapie, pour commencer soft, médecine chinoise, apparemment j’avais pas mal de chakras fermés, psychiatres et enfin médicaments. Autant les stars prennent diverses drogues plus ou moins légales, la drogue officielle chez nous c’étaient les bêtabloquants. Après une visite chez mon généraliste, qui au passage m’a dit juste que mon « coup de mou » était dû au printemps et au changement de saison (hahaha, j’en ris aujourd’hui) me voilà avec entre les mains le précieux sésame : une ordonnance de bêtas. Au début les effets marchaient plutôt bien et j’arrivais à peu près à jouer, mais au fil du temps les symptômes revenaient. Je montais les doses (toute seule, oui je sais, très mauvaise idée), j’étais tellement désespérée que j’étais prête à sacrifier ma santé pour que ça passe. Après un crise de tachycardie, j’ai décidé d’arrêter ces trucs qui ne marchaient plus et qui risquaient me faire faire une crise cardiaque.

Me revoilà au point de départ.


Je ne sais plus comment, je crois par l’intermédiaire du généraliste, j’entends parler d’une médecin qui exerce à trente kilomètres de chez ma mère et qui pratique la thérapie cognito-comportementale ou TCC. Voilà qui me redonne espoir et je prends rendez-vous. Elle m’assoit dans son cabinet et commence à m’expliquer les tenants et les aboutissants de cette thérapie. L’idée est de se confronter progressivement à ses peurs par paliers et de répéter la situation jusqu’à ce que l’angoisse disparaisse complètement. Elle me fait donc tenir un journal de bord dans lequel je consigne mes crises d’angoisses, car oui, ô joie, j’en ai d’autres qui sont apparues en dehors de la sphère musicale. Je dois aussi détailler mes missions-exercices. Par exemple, j’ai la phobie du téléphone. Ne me juge pas, je sais c’est ridicule, mais ce fut un des paliers de TCC. Aujourd’hui je l’ai encore mais c’est complètement surmontable. Toujours est-il que cette femme semble bien me cerner, et sans jamais poser de diagnostic précis, je pense pour ne pas me faire flipper encore plus, adjoint à chaque séance une grosse séance d’acupuncture et un traitement antidépresseurs + anxiolytiques (Effexor et Xanax) plutôt assez dosés. Attention, je ne suis pas là pour faire de la pub à l’industrie pharmaceutique ni pour t’inciter à en prendre, je te dis simplement le contenu de mon ordonnance. Évidemment, il ne faut jamais prendre ces trucs sans l’avis d’un médecin !!!


Et bien le combo de tout ça plus mes petits succès musicaux m’ont énormément aidée à progresser sur la gestion de mon trac et j’arrive aujourd’hui, en partie grâce à ça, à jouer de façon plus sereine.

C’est ainsi que j’ai pu réussir à finir avec les honneurs mon cursus musical au sein du conservatoire. Ces victoires ainsi que la rencontre avec ma professeure de l’époque, qui avait un amour incroyable de la musique et une pédagogie positive, m’ont permis de relâcher la pression et de jouer en public, chose qui me bloquait complètement avant !

C’est également la période où j’ai découvert un livre qui m’a aussi beaucoup aidée : Vaincre le Trac, de Michel Ricquier, éditions Trédaniel.

crédit photo, photo personnelle


Dans ce livre et par ma doctoresse (j’aime bien l’appeler comme ça), j’ai appris comment fonctionnent les mécanismes des angoisses et des crises de paniques, parce qu’à mon stade on ne peut plus appeler ça du trac. J’ai appris quelques tips pour se détendre et surtout j’ai découvert une chose dont on ne m’avait jamais au grand jamais parlé pendant mes études : la méthode de travail et la visualisation.


What ? Te dis-tu, peut-être ; comment est-ce possible ?? J’en suis moi-même abasourdie en écrivant ces lignes. Oui, en fait on m’apprenait à jouer, mais on ne m’avais jamais appris à travailler. Depuis que je suis petite on m’a toujours dit : il faut travailler, répéter des heures etc. J’avoue qu’au début je n’étais pas l’élève la plus studieuse, je n’avais pas le profil de l’élève idéale mais j’aimais la musique, viscéralement. Quand j’ai commencé à vraiment travailler personnellement, je répétais mécaniquement les passages, au métronome souvent, graduation par graduation, je m’envoyais le Hanon complet une fois par jour parfois en dépassant le tempo indiqué par ce cher Charles-Louis (sauf le dernier j’avoue, sinon je courais à la tendinite). Je ne réalisais pas qu’en fait je ne faisais pas de la musique, j’étais devenue une sorte de machine qui enchaînait les gammes, les arpèges et les chromatiques. L’exemple le plus flagrant dont je me rappelle, c’était en audition, je jouais un impromptu de Schubert qui durait assez longtemps, et là après la reprise, ne voilà-t-il pas que je reprend encore une fois au début et c’est partie pour un troisième tour !


Ce changement de méthode de travail m’a pris des années et c’est grâce à de nouvelles rencontres, à l’extension de mon cursus (harmonie, contrepoint, direction de chœur…) que j’ai appris petit à petit à comprendre ce que je jouais et comment ça marchait. Encore bien des années après j’ai eu un déclic en concert. Tous les passages que j’avais travaillés en visualisation, c’est-à-dire mentalement et en pleine conscience : quel doigt sur quelle note, quelles notes ensembles, quels doigtés ensemble, quelles harmonies ; tous sans exception je les ai joués (presque) complètement détendue. Pour la première fois de ma vie au piano : je me suis amusée à jouer en concert. Ce n’était pas le concert du siècle, mais la prise de conscience que j’ai eu ce jour-là a opéré un changement dans ma vie.


Sur ces notes d’espoir, j’ai continué à me produire et à voir le concert comme un laboratoire d’expérimentation sur mes émotions et mon travail. Aujourd’hui je peux le dire, un véritable travail, une bonne méthode, c’est une grosse partie du trac qui s’en va.


Récemment, après une période personnelle un peu difficile, cette bonne vieille angoisse a refait un peu surface. Depuis le temps je commence à me connaître et ni une ni deux j’ai voulu réagir avant que ça ne prenne de fâcheuses proportions. Au hasard d’une conversation avec un ami, il me donne le numéro d’une femme qui pratique l’EMDR. Mais quoi-t-est-ce ? Pour te la faire hyper courte, l’EMDR est une thérapie qui permet de digérer une bonne fois pour toute les émotions parfois enfouies depuis trrrrrès longtemps. En gros, avec la TCC j’avais soigné les symptômes, comme une sorte de traitement d’urgence, avec l’EMDR on attaquait le mal à la racine. Je te conseille vivement, si ça t’intéresse de te renseigner sur cette thérapie, qu’on soit musicien ou non, pour tous tes traumatismes et à tous les degrés, les burn-out... Conseil : ne te maquille pas avant une séance, en tous cas pas de mascara, parce que du coup je suis sortie de ma première séance avec la tronche d’un panda, style Odile Deray dans la Cité de la Peur. Tu vas pleurer, oui, toutes les larmes de ton corps, essorer la serpillière jusqu’à la dernière goutte.


Alors aujourd’hui comment ça se passe quand on la responsabilité d’élèves. Je t’avoue je me suis toujours sentie investie d’une mission auprès d’eux. Toute cette galère que j’ai connu, j’ai toujours voulu leur épargner, dans la mesure du possible. Je ne dis pas que mes élèves jouent finger in the nose et doigts de pieds en éventail, je suis encore en recherche pour la transmission de tout cela, mais j’ai déjà quelques conseils qui semblent plutôt fonctionner.


La confiance en soi. Ça fait un peu kitsch de dire ça, mais c’est réellement le pilier fondateur. Qu’est-ce que la confiance en soi ? Si je pouvais résumer ce serait : je sais et je sais faire des choses bien et je vais vous le montrer. Pour le/la professeur.e ça passe, évidemment, par la valorisation, j’avoue parfois j’en fais des caisses. Il ne s’agit pas d’être dans la flatterie ou la flagornerie, mais j’essaye d’être juste et quoi qu’il arrive d’être positive.


Enseigner à ses élèves une méthode de travail et ce dès le tout premier cours. C’est d’ailleurs beaucoup plus facile au début, sur des pièces simples et courtes d’aborder la technique de visualisation.


Multiplier les situations de public ou enregistrer/ filmer quand ce n’est pas possible, je pense notamment aux professeur.e.s indépendant.e.s qui donnent cours chez eux.


Communiquer verbalement avec l’élève, laissez-le se confier, exprimer ses doutes et ses angoisses. Racontez-lui les vôtres, en filtrant bien sûr et simplement pour faire écho aux siennes, qu’il/elle ne se sente pas seul.e. Parlez de votre propre expérience du trac, dites-lui que c’est normal d’avoir peur ! Oui, quand on y réfléchit, qui trouve ça ok de jouer avec ses émotions sur un truc hyper précis devant plein de gens !!!


Faites des jeux de rôles, avec vous, lui/elle tout.e seul.e, avec les autres élèves.


Rendez la musique fun et amusante. Oui il faut être sérieux.se et concentré.e, mais c’est de la musique, pas la 3e guerre mondiale, personne ne va mourir !


Briefez les familles quand c’est possible. Évidemment si l’entourage tient un discours opposé, va falloir sortir les rames. Combien de fois j’ai entendu alors que je demandais à un élève de chanter sa main droite « de toutes façons je chante faux, mon père / ma mère / ma sœur / mon frère/ le chien m’a dit que je suis une casserole ! ». Sans compter la société de compétition et de jugement dans laquelle on évolue.


Ne forcez jamais à un élève à se produire en public. Il n’y a rien de pire et de plus violent. Vous ignorez beaucoup de choses de sa vie et de ses émotions. Proposez mais n’imposez pas. Bien sûr dans le cas d’examens on n’a pas trop le choix. Pour ma part j’ai la chance d’être dans une école au fonctionnement plutôt souple de ce côté-là.


Je débriefe toutes les prestations publiques avec les intéressé.e.s. Si je constate qu’un.e élève a eu une attaque de panique pendant un concert on en parle, on analyse, on cherche des solutions. Ne laissez jamais votre élève dans un no man’s land, il va imaginer le pire (je suis nul.le…)


Voilà cette liste n’est bien sûr pas exhaustive, n’hésite pas à commenter pour la compléter, je suis preneuse de toutes les idées !!

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3 comentários


cocochant
25 de mar. de 2020

Bonjour Caro.bienvenue au club....les examens loupés et les concerts avec les mains qui tremblent j ai connu...et j ai moi aussi essayer pleins de choses...a force ça fonctionne. Mais à quel prix ! Je suis confrontée également à essayer de résoudre ce soucis auprès de certains élèves et j utilise les mêmes techniques que toi.Merci d avoir partager ton parcours. Nous aurons j espère l occasion d en parler un jour toutes les 2....pour moi c est la musicothérapie et les plantes qui m ont beaucoup aidé.

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Caroline Batt
Caroline Batt
22 de mar. de 2020

Tout dépend de l'âge et de la personnalité des enfants, je pense. Il faut commencer par des choses archi simples et archi courtes. Ou juste de tout petits passages de leurs morceaux, une phrase, une mesure... Effectivement, la capacité de concentration est très variable d'un.e élève à l'autre! Sous forme de jeu, cap ou pas cap, ils adorent. Et si ça ne marche pas, c'est que ce n'est pas le bon moment ou que la chose est trop difficile pour eux, ce n'est pas grave, ce n'est que partie remise. Personnellement je n'ai jamais été confrontée à un échec extrême de ce côté-là. Après ça peut complètement arriver un jour.

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fred.boucher
22 de mar. de 2020

J'ai vécu quasiment le même parcours que vous concernant le trac. Et j'ai aussi eu la phobie du téléphone... C'est en effet important de prendre les devants en enseignant aux enfants les techniques de visualisation. Mais comment les enseigner à des enfants ? N'est-ce pas quelque chose d'abstrait pour eux ? Comment faire en sorte qu'ils jouent vraiment le jeu ?

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