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Photo du rédacteurCaroline Batt

Aimez-vous la musique contemporaine? /1

Léonard Bernstein disait : “Pour justement détester la musique moderne, il faut la connaître. Ainsi, on pourra la détester plus intelligemment. Ou bien, sait-on jamais, l'apprécier.”

Force est de constater que le sujet de la musique contemporaine suscite, et ce dans les milieux mélomanes comme professionnels, des réactions vives.

« Ce n’est pas de la musique, c’est du bruit » « un enfant de trois ans peut faire la même chose » (remarque: cette phrase s’applique aussi bien à la musique qu’à l’art plastique) « cette musique ne me touche pas » « pour faire tchling bam poum dzoing, c’est bon... » etc...

Ces considérations empiriques ont piqué ma curiosité, et je me suis dit « pourquoi tant de haine, pourquoi la musique contemporaine est ce vilain petit canard (voire une immonde verrue pour certains autres, point de vue que, à titre personnel, je ne partage pas) ? ». J’ai immédiatement pensé au Sacre du Printemps qui avait été rebaptisé à l’époque « le Massacre du Printemps », aujourd’hui chef-d’œuvre acclamé de la musique de Stravinski, et de tout le XXe siècle.

Avant toute chose il faut se mettre d’accord sur la définition de la musique contemporaine.

Selon le Littré, le mot contemporain veut dire « qui est du même temps ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Quel est notre temps ? La musique contemporaine se définit donc par un marqueur temporel et non un marqueur stylistique ou esthétique. Pour la rédaction de ces articles (SPOILER : ce sera un diptyque, voire un triptyque) il a donc fallu définir une période.

Étant dans le flou, j’ai simplement lancé, il y a quelques semaines, un sondage sur Facebook pour avoir l’avis de musiciens. Je dois dire que les réponses ont été aussi variées que surprenantes parfois, mais intéressantes. Certains considèrent Poulenc (mort en 1963, pour rappel) comme contemporain. Donc j’ai fini par trancher en posant le postulat : contemporain serait dit d’un compositeur toujours en vie, ou étant décédé il y a vingt ans maximum (et encore, je suis large).

Je me suis retrouvée alors devant un chantier tellement vaste que je ne savais plus par où commencer. Mes goûts personnels ? Ceux d’autres personnes ? Un clash putaclic ? Un article consensuel ? Quand tout à coup est venue l’idée, que dis-je THE idée !! « Bon sang mais c’est bien sûr ! Il faut que j’interviewe un compositeur contemporain !! ». Et c’est comme ça que j’ai pris mon courage à deux mains pour écrire à Thierry Alla. Il a eu la gentillesse d’accepter et de me consacrer deux heures de son temps en visio-call, pour un échange passionnant.

On commence donc directement par de la musique d’influence spectrale !

Je lui laisse donc la parole.


« Quand j’étais enfant, il y avait un piano à la maison, que j’adorais toucher. Les sons et leurs mélanges me fascinaient. J’ai donc pris des cours pendant dix ans, mais je n’étais pas très rigoureux et un piètre technicien. J’étais plus doué pour travailler la musique que le piano ! Puis, au lycée, j’avais dans l’idée de me lancer dans des études de philosophie, mais mon professeur, pas très convaincu de mon potentiel, ma déconseillé cette voie. Je faisais en parallèle l’option facultative de musique, c’est à cette époque que j’ai découvert le concerto pour piano en sol de Ravel : ce fut un choc musical, une révélation. J’écoutais aussi beaucoup Debussy, son univers musical résonnait en moi, j’en jouais même certaines petites pièces, j’en écoutais en concert, en disque. »

« Le bac en poche je me suis donc inscrit à l’université de Musicologie de Tours puis au conservatoire afin de combler mes lacunes en solfège. Je partais de loin : je n’imaginais même pas qu’on puisse faire des dictées à deux voix ou lire avec plusieurs clés ! Mais j’ai beaucoup travaillé pour obtenir mon diplôme de Fin d’Études, précieux sésame qui m’a permis d’accéder à la classe d’Écriture et de la classe de Composition du Conservatoire de Bordeaux alors dirigées par Michel Fusté-Lambezat. Dans cette dernière classe, la musique tonale était interdite ! Nous (les élèves) devions chercher des consonances non tonales, cette démarche m’a personnellement pris beaucoup de temps. La première fois que j’ai entendu du Stockhausen j’ai trouvé cela affreux ! (rires). La classe de composition m’a fait prendre conscience que la musique devait évoluer et qu’il fallait cesser de regarder vers le passé. Schönberg disait ironiquement « Il est encore possible d’écrire de la musique en ut majeur ! »

« Nous vivons une époque unique dans l’histoire de la musique, où, depuis cent ans on joue davantage la musique du passé que celle du présent. À l’époque de Mozart on jouait du Mozart et plus de Bach! À présent, les oreilles des gens ne peuvent pas s’habituer à cet univers sonore. Il existe une grande distance entre ce qu’on connaît ou pas, nos oreilles sont formatées au tonal. La musique contemporaine n’est que très peu diffusée à la différence du reste de l’art contemporain. »

« Je me souviens qu’à l’époque où j’étais étudiant nous faisions un peu de musique dodécaphonique sérielle, mais ce n’était pas ce qui m’intéressait le plus, moi j’aimais le timbre, le son. J’adorais l’expérience des clusters. J’en jouais énormément au piano. Ce qui me passionnait c’était d’écouter leurs timbres, leurs résonance qui induisaient une harmonie et une orchestration. En fait je faisais déjà un peu de musique spectrale sans le savoir, comme Monsieur Jourdain avec la prose ! L’aspect spectral apportait des réponses aux questions musicales sans entrer dans le côté mathématique. »

« Je ne compose pas de musique spectrale à proprement parler, mais plutôt de la musique d’influence spectrale. Lorsque j’écris une œuvre je fais d’abord un plan, un peu comme un story-board au cinéma. Je pars tout d’abord d’une idée sonore, psychologique, philosophique… puis j’élabore la pièce par un long mûrissement intellectuel. Je travaille plutôt lentement et sur des formats de pièces courtes. Comme je n’ai pas de contrainte de hauteur de son ni d’échelle musicale je me retrouve devant un paysage d’infini, dont le chemin est difficile à tracer, car sans cadre.

Je recherche l’innovation, le son qui me plaît, qui me touche. J’écris principalement pour le saxophone. Ma première œuvre a été commandée par Jean-Marie Londeix : Polychrome, une pièce pour ensemble de douze saxophones où j’utilise beaucoup les micro-intervalles comme le quart de ton. J’avais assisté en auditeur libre aux cours de Alain Bancquart au CNSM de Paris. Dans sa salle de cours il y avait trois pianos : l’un était accordé en tempérament égal, le deuxième en quart de ton et le dernier en huitième de ton. »

Dans Polychrome, les instruments entrent les uns après les autres : si on fait pivoter la partition cela ressemble à une table de mixage de studio d’enregistrement. »

« J’ai aussi travaillé à de multiples reprises avec Marie-Bernadette Charrier. Pour cela, je suis allé assister à ses cours pour comprendre les techniques et les modes de jeu de cet instrument. J’ai développé un intérêt particulier pour les sons multiphoniques, c’est devenu un petit peu ma marque de fabrique ! Je traite le son multiphonique comme une couleur sonore, pas comme un effet, mais plutôt comme un matériau harmonique. Je recherche des enchaînements harmonieux d’un son à un autre ce qui a conduit à la création d’un langage inouï, au sens propre du terme. J’emploie également les « sons à l’envers », c’est-à-dire que je commence par la résonance du son et finis par l’attaque. Je rêve d’écrire pour piano, c’est mon complexe du « pianiste raté » ! (Rires)

J’aime beaucoup écrire pour instrument seul et système électroacoustique. J’ai connu le temps où l’on découpait à la main les bandes magnétiques, la musique prenait un sens concret, physique ; puis l’avènement de l’informatique musicale avec les premiers Macintosh© et les premiers logiciels. »

Je vous invite à écouter la pièce qui s'appelle Nébuleuse, commandée par Catherine Brisset.


Zoom sur le cristal Baschet

« À la jonction des mondes plastique et sonore, l’œuvre des frères Baschet est le fruit d’une recherche esthétique formelle et sonore menée en considération de la fonction sociale de l’art et de la participation du public.

En 1952, Bernard Baschet, formé à la musique concrète de Pierre Schaeffer, entreprend avec son frère François, sculpteur, des recherches acoustiques. Ils développent principalement deux types d’objets : les sculptures sonores et les structures sonores. Les sculptures sonores sont des objets-sculptures destinés aux musées, aux galeries d’art ou s’inscrivant dans des projets architecturaux (fontaines, beffrois...). À l’inverse, les structures sonores sont avant tout des instruments destinés aux musiciens.


Consacrant les premières années de leur association à une recherche fondamentale en acoustique, ils s’intéressent particulièrement à un principe permettant le rayonnement dans l’air des vibrations des métaux. Ce principe présente pour eux le double intérêt de produire des sonorités à résonances modernes, usitées dans la musique contemporaine depuis Edgard Varèse, et de n’avoir jamais été systématiquement exploité en facture instrumentale. L’aspect le plus remarquable de cette innovation est la mise au point d’un système acoustique dont les sons s’approchent de l’électro-acoustique, sans recours ni à l’électricité ni à l’électronique.

Véritables synthétiseurs acoustiques, les structures sonores sont conçues sur le principe du meccano. Elles sont constituées d’éléments interchangeables tels que des barres et des plaques de métal, des vessies de plastique gonflables, des cônes d’acier inoxydable, des cordes de piano, des ressorts, etc. Chaque combinaison de ces différents éléments produit un son particulier.

Un récipient en verre contenant de l’eau est accroché à la structure du Cristal Baschet. Le musicien avec ses doigts mouillés frotte les tiges de cristal (jouant le rôle d’archet), qui mettent ainsi en vibration les axes métalliques. Les ondes sont ensuite propagées dans l’air grâce à des résonateurs : cônes de plastique, feuilles de métal, tiges métalliques. Le Cristal continue aujourd’hui d’être perfectionné grâce à un échange constant entre inventeur et interprète. Il a été utilisé aussi bien dans la musique contemporaine que pour le cinéma comme par exemple dans le film La Marche de l’empereur. » Source Collections du musée de la musique – Philharmonie de Paris.


« Pour découvrir la musique contemporaine lorsqu’on ne la connaît pas, je conseillerais d’aller la voir sur scène, plutôt qu’avec seulement un support audio, car l’action de jeu est très importante et indissociable de sa démarche. La musique et sa spatialisation ainsi que le geste musical prennent une place importante dans le processus de compréhension et d’appréciation. Par exemple, quand j’étais plus jeune, je suis allé voir le Grand Bleu au cinéma. À la sortie de la salle, je suis allé acheter le disque, mais en l’écoutant chez moi, je me suis rendu compte que la magie n’était pas la même, la musique ne prenait de sens que grâce à l’image ! »

« Enfin, si je devais donner un conseil aux jeunes compositeurs ce serait de regarder toujours vers l’avenir, d’oser prendre des risques en choisissant des interprètes ouverts. Le métier de compositeur est en fait quelque chose de solitaire et introspectif. Il faut se libérer de l’image du compositeur qui attend l’inspiration : c’est en réalité un travail de fourmi qui demande de la rigueur et de la réflexion ! »


 

Thierry Alla en quelques mots

Compositeur et docteur en musicologie. Né en 1955 à Alger, il étudie la composition au Conservatoire de Bordeaux où il obtient en 1988 un Premier Prix de Composition musicale à l'unanimité (classe de Michel Fusté-Lambezat), le prix de la Sacem, la Médaille d'honneur de la ville de Bordeaux (1989). En 1993, un Premier Prix de Composition électroacoustique (classe de Christian Eloy) complète sa formation. Parallèlement, il étudie la musicologie dans les universités de Tours, Paris-Sorbonne et Rouen. Il a soutenu en 2005, sous la direction de Pierre-Albert Castanet, une thèse sur la musique spectrale dont il est l’un des spécialistes en France (ouvrage : Tristan Murail, la couleur sonore, aux éditions Michel de Maule).

Professeur agrégé d’éducation musicale, il enseigne l’histoire de la musique, l’analyse et l’informatique musicale. En tant que compositeur, il se distingue par son travail sur le timbre et les micro-intervalles. Ses œuvres sont régulièrement créées en France et à l’étranger (Japon, Chine, Australie, États-Unis, Allemagne, Espagne, Thaïlande, Irlande, Slovénie, Canada…).

Quelques œuvres pour découvrir son univers

Concerto Étoile

Pariétal

Polychrome

Abyssal


 

Pour aller plus loin



ALLA Thierry. Tristan Murail, la couleur sonore. Paris : Michel de Maule, 2008, 346 p.


ALLA Thierry. Ombres et lumières dans Anubis-Nout de Gérard Grisey.In : Iannis Xenakis, Gérard Grisey : la métamorphose lumineuse / sous la direction de Makis Solomos. Paris : L’Harmattan, 2003, p. 245-259. (Actes du colloque organisé par le CIRM les 13 et 14 novembre 2001 à l'occasion du festival Manca).

CASTANET Pierre-Albert Thierry Alla, un musicien à la conquête du timbre Sampzon, Editions Delatour, 2017, 370 p.

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1 Comment


cocochant
May 12, 2020

Encore un sujet très intéressant. Tu m as fait découvrir et redécouvrir de belles choses.Merci beaucoup. Belle lecture et belles écoutes

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